1 - Processus, processus, processus
La morphologie du cours d’eau est étroitement liée aux processus fluviaux, car la forme, la structure et le comportement du chenal d’une rivière influencent et sont influencés par les processus dynamiques qui s’y déroulent. Ces configurations morphologiques se renouvellent constamment, rythmées par les débits morphogènes, capables de transporter des sédiments sur le lit et d’éroder les berges. C’est par les processus d’érosion, de transport et de sédimentation que le bon fonctionnement des milieux hydriques est maintenu et restauré.
2 - Reconnaître le dynamisme du cours d’eau et son besoin d’espace
Les cours d’eau sont fondamentalement dynamiques. Ils se déplacent avec le temps. Cette mobilité est cependant irrégulière, parfois brutale lors de crues majeures et parfois lente voire imperceptible sur une échelle humaine. Plusieurs morphologies constituées de sédiments transportés par les cours d’eau témoignent de cette lente évolution : par exemple, les méandres abandonnés. Ce simple constat a de nombreuses incidences sur la gestion de cours d’eau : il nous fait réaliser que celui-ci a besoin d’espace pour exister et opérer librement. Même linéarisé et contraint, il veut constamment reconquérir l’espace perdu.
3 - Viser l’autonomie et la résilience
Un cours d’eau fonctionnel et durable n’est pas figé, mais autonome et résilient. Une crue subite et intense peut le remodeler, le déconstruire momentanément. Cependant, il a la capacité de s’adapter, de se reconfigurer et de se réparer, en cohérence avec les processus actuels. Les habitats d’intérêt peuvent s’effacer momentanément, pour rejaillir ailleurs au fil de l’évolution des formes. L’objectif de la restauration consiste à assister le milieu dans sa quête d’autonomie et de recherche de plein potentiel. Et non de le figer en place. Jamais.
4 - Ne pas réparer ce qui n’est pas brisé
Les milieux hydriques naturels sont à leur plein potentiel écologique. Ils fonctionnent déjà de manière optimale pour le vivant et la biodiversité, inutile de tenter de faire mieux à leur place. Pourtant, certaines interventions, motivées par des obligations ou un manque de connaissance, visent à maîtriser des processus parfaitement naturels qui contribuent à la valeur écologique des lieux. Le nettoyage de bois mort ou la stabilisation de berges en sont de bons exemples. L’indice de qualité morphologique (IQM) est un outil qui permet de rendre compte objectivement de l’état d’un cours d’eau et de la pertinence d’agir, ou pas.
5 - Agir sur les causes du problème, pas ses symptômes.
La dégradation du milieu hydrique résulte de perturbations humaines. Inutile de chercher à agir sur les symptômes sans avoir préalablement compris les causes fondamentales de sa dégradation. Ces perturbations peuvent être réversibles ou non. La cible de restauration doit en tenir compte. Adapte-toi.

6 - Ne pas chercher à reproduire le passé, mais à construire l’avenir.
L’état historique des cours d’eau ne constitue pas toujours une cible adéquate pour leur restauration, car les conditions environnementales (hydrologie, climat, occupation du sol) ont évolué. Les morphologies du passé ne sont pas nécessairement cohérentes avec les processus actuels et/ou futurs. La renaturalisation passe par la recherche d’un nouveau mode de fonctionnement et non pas par un travail de reconstitution historique.

7 - Construire une vision partagée et concertée avec les parties prenantes
D’une part, apprécie le potentiel de chaque milieu hydrique, ce qu’il peut devenir en fonction de sa trajectoire écogéomorphologique. D’autre part, définis les attentes collectives face aux milieux hydriques quant à leur bon fonctionnement. C’est la rencontre de ces deux questionnements, articulés par une approche collaborative ou participative, qui permet de définir une vision cohérente, réaliste et concertée de l’avenir des milieux hydriques au Québec

8 - Déléguer autant que possible au cours d’eau (ou même aux castors)
Utilise les processus naturels à ton avantage et délègue au cours d’eau le travail autant que possible pour concevoir et restaurer, car la rivière est la meilleure architecte de sa propre construction. Elle le fait efficacement, durablement et à coût nul. Selon ses besoins, tu peux évidemment l’assister en lui apportant de l’eau, des sédiments, du bois, de l’espace ou du temps. Ou même un castor si le contexte physique et humain le permet. Cet ingénieur senior est capable de construire et entretenir des environnements à haute valeur écologique : une clef de voûte aux écosystèmes qui dépendent entièrement de lui. Enfin, dans le doute, n’oublie pas que le laisser-faire reste souvent la solution la plus judicieuse.

Exemple de restauration des processus, en usant de l’énergie disponible, des matériaux, de l’espace et du temps (et du castor). L’utilisation de la machinerie est limitée aux travaux requis pour « faire place » aux processus naturels. Source : Ciotti et al, 2021.
9 - Être stratégique dans le choix de ses combats
Les cours d’eau du Québec subissent d’importantes perturbations dues au cumul d’activités anthropiques à large échelle, ce qui limite leur fonctionnement naturel et l’expression de leur plein potentiel écologique. Les solutions pour les renouveler devront être adaptées à l’ampleur de ces perturbations et tenir compte de ressources financières souvent limitées. Il est donc essentiel de sélectionner avec soin les actions de restauration à entreprendre, à financer et à réaliser. La consolidation de gains écologiques durables, à faibles coûts, devra guider les choix en favorisant la capacité d’autoréparation des milieux hydriques par les processus naturels à large échelle. Il faudra éviter de concentrer les efforts sur l’aménagement « mécanique » des habitats. L’arbre décisionnel ci-dessous illustre cette approche stratégique.

Priorisation axée sur la conservation et la restauration des processus à grande échelle, devant les actions spécifiques à la restauration des habitats (adapté de Roni et al, 2008).
10 - Suivre, apprendre et s’ajuster
La réparation des cours d’eau prend du temps, surtout lorsqu’elle repose sur les processus naturels. Plusieurs traitements sont parfois requis pour rétablir la santé de l’écosystème. Il faut donc situer les ambitions de restauration dans un cadre temporel suffisamment long pour lui en donner l’opportunité. Le suivi d’indicateurs est indispensable pour évaluer la réussite du rétablissement de l’écosystème et, au besoin, ajuster les stratégies pour mieux y parvenir.
Références
Ciotti, Damion C., et al. « Design criteria for process-based restoration of fluvial systems. » BioScience 71.8 (2021): 831-845.
Roni, P., Hanson, K., & Beechie, T. (2008). Global review of the physical and biological effectiveness of stream habitat rehabilitation techniques. North American Journal of Fisheries Management, 28(3), 856-890.
Rédaction
Sylvio Demers, Firme Rivières
