Guide sur la restauration des cours d’eau

Méthodes alternatives à l'entretien des cours d’eau au Québec

Passer d’une approche de contrôle des processus à une approche fondée sur les processus implique de concevoir des projets plus flexibles, adaptés aux dynamiques naturelles du cours d’eau et à ses transformations dans le temps.

Cette transition influence autant la conception que la mise en œuvre, et nécessite des outils comme les schémas conceptuels pour mieux illustrer les trajectoires attendues et favoriser l’adhésion des parties prenantes.

Implications sur la nature des projets

Les différences fondamentales entre un projet fondé sur le contrôle des processus et un projet fondé sur les processus eux-mêmes nécessitent une adaptation du mode de conception et de réalisation des interventions dans les cours d’eau et leur plaine alluviale :

    • Le projet visant à contrôler les processus est conçu pour :
      • être stable dans le temps,
      • fixe dans l’espace,
      • avec une durée de vie utile,
      • des effets prévisibles et
      • des risques inhérents de défaillance.

Il repose généralement sur des analyses considérant les processus comme quantifiables et stationnaires (par exemple le régime hydrologique). En cas d’incertitude, le principe de précaution est appliqué en retenant les valeurs les plus conservatrices. Par exemple, pour intégrer les changements climatiques à une analyse de récurrence des débits, on majore les débits de crue d’un pourcentage donné. Ce type de projet s’appuie souvent sur des structures d’ingénierie (digues, chenalisation, stabilisations, bassins, seuils, barrages, etc.).

    • Le projet basé sur les processus est conçu pour être (bien que ces effets soient difficiles à prédire) :
      • dynamique dans le temps,
      • mobile dans l’espace,
      • adaptatif aux changements de processus et
      • résilient aux différents aléas.

Il se fonde sur une analyse fine des processus hydrosédimentaires visant à comprendre le fonctionnement du cours d’eau et son potentiel de restauration en tenant compte de la trajectoire historique et des changements survenus et à venir, dans les régimes hydrosédimentaires. Peu de méthodes sont prescrites : l’approche mise sur l’adaptation à chaque projet et suppose une acceptation du risque d’échec lié aux nombreuses incertitudes. Ce type de projet évite les structures et tente de recréer des environnements naturels à l’aide de différentes approches, allant du laisser-aller complet (retrait des structures) à des interventions plus actives (remodelage du cours d’eau pour favoriser les processus souhaités).

Ainsi, quelle que soit l’approche choisie, le parcours de l’idée à la réalisation des projets sera toujours différent selon l’approche retenue. Chaque situation exige une adaptation. Qu’il s’agisse d’un projet utilitaire (ex. : ponceau, drainage, stabilisation) ou d’un projet de restauration (ex. : reméandrage, ajout de bois mort, etc.), les considérations technico-économiques, la conception de projet, les études préalables, la mise en plans, le devis tout comme la réalisation devront être modulés en fonction de l’approche adoptée.

Tous les projets de restauration, indépendamment de l’approche retenue, devraient reposer sur des objectifs Spécifiques, Mesurables, Atteignables, Réalistes et Temporels (acronyme SMART).

Implications sur le déroulement des projets

Au Québec, le régime d’autorisation des projets en milieu hydrique repose actuellement sur l’approbation de plans et devis préparés par un concepteur, à la demande d’un promoteur. Ces documents s’appuient généralement sur des études scientifiques et techniques préalables, qui permettent de caractériser le milieu, de cerner les enjeux et les contraintes, et de quantifier les impacts du projet. Une fois le projet approuvé par les autorités gouvernementales, l’entreprise mandatée exécute les travaux conformément aux prescriptions établies dans les plans et devis.

La conception du projet doit prendre en compte de nombreuses contraintes, qu’elles soient liées aux risques naturels (ex. : zones inondables, risques de glissement de terrain, etc.), aux normes environnementales (ex. : protection des espèces à statut précaire, gestion des sols, périodes de travaux, etc.) ou encore, à l’acceptabilité sociale, que ce soit par la consultation des citoyens ou leur implication dans la conception du projet.

Dans le cas d’un projet de type utilitaire, même si l’on privilégie une approche fondée sur les processus, une structure d’ingénierie est souvent impliquée, par exemple lors de la construction d’une traverse de cours d’eau. Bien que la conception soit basée sur des considérations et des études différentes de celle de l’approche traditionnelle, les étapes finales, soit les plans et devis et la réalisation, sont similaires pour les deux approches.

Pour un projet de restauration, tout comme pour un projet utilitaire, la conception est basée sur des considérations et des études différentes, mais le déroulement des étapes ultérieures dépend du niveau de l’approche préconisée par le concept. Par exemple, dans le cas d’un reméandrage, si le concept prévoit une reconstruction complète du chenal, le déroulement des étapes des plans, du devis et de la réalisation s’apparente à celles d’un projet fondé sur le contrôle des processus. La principale différence réside dans le degré de précision requis. Dans un projet de reméandrage, on souhaite que la mobilité latérale du cours d’eau puisse reprendre naturellement, ce qui rend moins critique l’exactitude de la forme initiale du chenal puisqu’elle représente seulement une étape transitoire dans la restauration des processus.

Pour les projets intégrant des interventions visant à stimuler des processus naturels, comme l’ajout de bois mort visant à initier la migration latérale par exemple, l’étape des plans, du devis et de la réalisation sont simples. Il s’agit de planifier la localisation des amas de bois mort sur le terrain, basé sur différentes analyses hydrogéomorphologiques. Celui-ci est accompagné par un devis résumant les grandes lignes à respecter pour l’implantation des structures de bois. Cependant, la réalisation exige une adaptation constante, afin d’implanter le concept en maximisant les opportunités présentes sur le site en fonction de l’écoulement local et de la configuration du lit du cours d’eau.

Les différences principales entre les deux approches sont énumérées dans le tableau 1 pour un projet utilitaire (ex. : traverse de cours d’eau) et dans le tableau 2 pour un projet de restauration (ex. : bonification de l’habitat du poisson). Pour chacun des exemples, une troisième approche dite hybride est également présentée.

Enfin, quelle que soit l’approche retenue, les projets devraient toujours faire l’objet d’un suivi post-réalisation permettant d’en évaluer le succès (voir SUIVI).

La représentation du projet basé sur les processus

Au-delà des plans d’ingénierie destinés aux professionnels impliqués dans la conception, l’autorisation et la réalisation des projets, on observe une demande croissante pour des représentations plus réalistes du projet à maturité. Cette demande s’explique à la fois par la nature même des projets, mais aussi par la participation accrue des acteurs locaux. L’acceptabilité sociale et la concertation nécessitent un effort important de vulgarisation pour favoriser la compréhension et l’adhésion des parties prenantes. Dans ce contexte, un schéma conceptuel peut s’avérer très utile pour synthétiser et illustrer le projet de manière plus accessible que ne le permettent les seuls plans d’ingénierie.

La réalisation d’un schéma conceptuel du projet à terme, dès l’élaboration du concept, peut servir de base pour l’élaboration des plans de construction, lorsque des interventions, des ouvrages ou un aménagement sont prévus dans le cours d’eau. Toutefois, dans le cas de restauration fondée sur les processus et la restauration des processus (aussi appelée restauration passive), le cours d’eau est appelé à évoluer morphologiquement, ce que les plans d’ingénierie ne représentent généralement pas. Dans de telles situations, le schéma conceptuel peut permettre de visualiser le projet tel qu’imaginé par le concepteur, au-delà des interventions initiales, en illustrant les processus attendus et les formes ainsi que les trajectoires hydrogéomorphologiques (HGM) anticipées, à travers différents horizons de temps.

Par exemple, dans un projet de reméandrage basé sur les processus, on pourrait choisir d’introduire des amas de bois mort pour rediriger l’écoulement vers la berge opposée, dans le but de stimuler l’érosion et favoriser la migration latérale du chenal. Les plans techniques de réalisation de ce projet représenteraient uniquement l’état actuel de la rivière ainsi que l’emplacement des amas de bois mort à implanter pour initier le processus de reméandrage. Le schéma conceptuel, quant à lui, permettrait de représenter la longueur et l’amplitude des méandres anticipés une fois que la dynamique naturelle du cours d’eau aura été restaurée.

Comparaison des approches - exemples
Tableau 1. Comparaison des approches pour un projet de traverse de cours d’eau
ÉLÉMENT APPROCHE PAR CONTRÔLE DES PROCESSUS APPROCHE FONDÉE SUR LES PROCESSUS APPROCHE HYBRIDE
Objectif Assurer une traverse sécuritaire et économique Maintenir la continuité écologique et hydrosédimentaire du cours d’eau Intégrer les enjeux fonctionnels, économiques et écologiques
Considérations technico-économiques Minimisation des coûts et gestion des risques en priorisant la stabilité de l’ouvrage Préservation des fonctions naturelles du cours d’eau (connectivité, dynamique latérale) Analyse avantages-coûts intégrant le cycle de vie, les risques et les besoins d’entretien
Implication des acteurs locaux Limitée aux exigences réglementaires Recherchée et favorisée, souvent nécessaire à l’acceptabilité sociale Favorisée dans une optique de concertation et de gestion intégrée
Concept / idée Ouvrage dimensionné selon les normes de service (ex. : crue de récurrence X ans) Ouvrage s’insérant dans la plaine alluviale sans perturber les processus fluviaux Ouvrage conçu pour s’adapter aux dynamiques naturelles tout en répondant aux besoins fonctionnels
Études de conception* Études hydrologiques et hydrauliques pour calibrer l’ouvrage selon le débit cible Études hydrologiques, hydrauliques et hydrogéomorphologiques pour caractériser la plaine active et sa dynamique Études intégrées des processus fluviaux pour optimiser la conception
Plans et devis Plans détaillés de l’ouvrage et de ses composantes, devis très normé Plans simplifiés si faibles intervention, ou détaillés pour les ouvrages majeurs Plans détaillés prévoyant certaines flexibilités d’adaptation au site
Réalisation Exécution conforme aux plans, sous supervision stricte du concepteur Réalisation flexible, adaptée aux conditions observées en chantier Réalisation encadrée, mais évolutive selon les observations et rétroactions
Tableau 2. Comparaison des approches pour un projet de bonification de l’habitat du poisson
ÉLÉMENT APPROCHE PAR CONTRÔLE DES PROCESSUS APPROCHE FONDÉE SUR LES PROCESSUS APPROCHE HYBRIDE
Objectif Aménager un habitat spécifique et stable pour une espèce cible (ex. : frayère) Restaurer les conditions propices à la diversité d’habitats via le retour des processus naturels Offrir un habitat fonctionnel pour une espèce tout en préservant la diversité et les dynamiques naturelles
Considérations technico-économiques Sécurisation de l’aménagement face aux aléas (crues, érosion) Réduction des interventions techniques, retour à des formes auto-entretenues Évaluation globale tenant compte de la performance, des coûts, de la durabilité et des risques
Implication des acteurs locaux Conception ciblée pour une fonction biologique précise Création d’un milieu morphologiquement complexe et résilient Combinaison d’interventions ciblées et de conditions favorables à l’évolution naturelle
Concept / idée Études écologiques et hydrauliques axées sur les besoins de l’espèce cible Études écosystémiques complètes incluant les processus morphodynamiques Études multidisciplinaires intégrant à la fois les besoins biologiques et les dynamiques fluviales
Études de conception* Mise en plan précis des structures et des volumes (ex. : frayère) Plans allégés ou simplifiés (ex. : bois mort), plus détaillés si retrait d’un ouvrage Plans adaptables combinant structures ciblées et éléments à ajuster sur le terrain
Plans et devis Mise en œuvre stricte selon les plans sous supervision du concepteur Mise en œuvre adaptative, avec modifications en fonction des observations in situ Réalisation souple intégrant une supervision active et des ajustements progressifs
Réalisation Aménager un habitat spécifique et stable pour une espèce cible (ex. : frayère) Restaurer les conditions propices à la diversité d’habitats via le retour des processus naturels Offrir un habitat fonctionnel pour une espèce tout en préservant la diversité et les dynamiques naturelles

*Ces tableaux présentent uniquement les études centrales à la conception du projet et non les études nécessaires pour ajuster la conception (ex. : une étude géotechnique), prévoir la réalisation (ex. : une caractérisation environnementale) ou encore pour obtenir une autorisation de travaux (ex. : étude de caractérisation du milieu naturel)