La demande d’entretien de cours d’eau repose souvent sur l’hypothèse que les dommages sont uniquement causés par l’accumulation de sédiments sur le lit. Or, ces problématiques peuvent résulter d’une combinaison de facteurs, qu’ils soient naturels ou liés aux activités humaines. Il est donc essentiel d’en identifier les causes afin de mettre en œuvre des solutions à la fois durables et adaptées.
L’érosion des berges est souvent à l’origine de cette accumulation. Bien que le retrait des sédiments (curage) puisse sembler une solution simple et rapide, des aménagements plus durables existent, offrant des alternatives mieux adaptées à long terme.
La stabilisation de berges : une fausse bonne idée ?
Les cours d’eau naturels sont dynamiques et érodent naturellement leurs berges. C’est normal et c’est souhaitable[1]. Ce processus contribue au maintien des morphologies naturelles et favorise un environnement propice à la biodiversité [Voir 10 préceptes].
Aussi, dans le cas des cours d’eau dégradés, l’érosion et la sédimentation jouent un rôle essentiel pour effacer l’empreinte des impacts passés. C’est un processus de renouvellement qui permet de restaurer des environnements fonctionnels et durables.
Il existe de nombreuses alternatives, selon le contexte.
A priori, la stabilisation des berges, qu’elle repose sur des techniques de phytotechnologie ou non, ne constitue PAS une solution alternative durable à l’entretien récurrent des cours d’eau. Bien que cette approche limite temporairement le recul immédiat de la berge et protège certains biens, elle se détériore à long terme et nécessite des entretiens répétés. De plus, elle ne génère aucun bénéfice additionnel pour la société.
Au-delà des aspects écologiques, d’un point de vue économique, cette stratégie de gestion est également discutable. En milieu agricole, plusieurs études de cas québécoises ont démontré que le coût des interventions dépasse souvent la valeur des biens à protéger.
Au Québec, la réglementation actuelle n’interdit pas aux riverains de stabiliser leurs berges pour protéger leur bien. Toutefois, des dispositions normatives encadrent l’exécution de ces interventions. Par ailleurs, certaines techniques de stabilisation par phytotechnologies permettent d’atténuer les impacts en berges et constituent une option plus respectueuse des dynamiques naturelles. [Voir Fiche technique: Les phytotechnologies pour restaurer les propriétés physiques et écologiques des berges]
Érosion latérale vs érosion verticale
Comment se comporte votre cours d’eau ?
Quelle est la composante dominante de l’érosion, latérale ou verticale ?
Pour orienter la recherche de solutions alternative, il est nécessaire de réaliser un diagnostic préliminaire afin d’identifier les processus en cours et de déterminer leur nature.
Certains processus d’érosion, tels que l’érosion verticale, sont symptomatiques de dysfonctionnements écologiques et peuvent nuire à l’équilibre du milieu. Il est crucial de distinguer ces types d’érosion (vertical vs latéral), car ils indiquent des problèmes sous-jacents nécessitant des interventions spécifiques.
Érosion dans un cours d’eau naturel vs érosion dans un cours d’aménagé.
[1] (Florsheim et al., 2008)
Érosion latérale
Les cours d’eau naturels sont dynamiques, mais en équilibre : ils subissent des phénomènes d’érosion et d’accumulation, mais ces deux processus sont généralement équilibrés et se compensent mutuellement.
L’érosion se manifeste typiquement latéralement : le chenal reste mobile tout en préservant ses dimensions, à la fois en largeur et en profondeur. Cela permet au chenal de contenir un débit constant. L’eau peut continuer à s’épancher dans la plaine inondable en période de crue avec la même fréquence.
Il n’existe pas vraiment d’alternatives susceptibles de concilier les attentes des riverains avec des solutions durables pour la biodiversité. Dans ce contexte, les solutions alternatives à l’entretien ou à la stabilisation consistent à adopter une approche de laisser-faire ou à précipiter la réponse morphologique du cours d’eau.
Érosion latérale : typologie des modes de gestion applicables dans un contexte de perturbation –> réponse morphologique en milieu agricole. ©Rivières
Érosion latérale : le laisser-faire ou Précipiter la réponse morphologique
Le laisser faire
La reconnaissance du rôle bénéfique associé à l’érosion conduit à des modes de gestion alternatifs à la stabilisation, souvent associés au laisser-faire et à la restauration passive. Dans cette approche, le cours d’eau est considéré apte à se gérer et à se réparer de manière autonome d’où le principe du « laisser-faire » [Voir les 10 préceptes].
Ce mode de gestion capitalise sur la capacité des milieux hydriques à se régénérer d’eux-mêmes.
Pour le gestionnaire de cours d’eau, ce mode de gestion pose concrètement le défi d’atténuer les impacts pour les usagers riverains tout en permettant aux processus naturels de se déployer librement. En dehors de quelques cas d’exceptions (comme illustré à la figure suivante), il s’agit généralement de processus lents et progressifs, particulièrement dans les milieux agricoles des Basse-Terre du Saint-Laurent.
Régénération spontanée de la rivière Chaude par le rôle de l’érosion-sédimentation. MRC de Bellechasse. ©Rivières
Voir Fiche technique: Espace de Liberté
Précipiter la réponse morphologique
Pour plusieurs cours d’eau totalement moribonds, manquant d’énergie pour provoquer l’érosion, le cours d’eau reste figé, pris dans un étau formé par des dépôts trop massifs pour être mobilisé à une échelle significative pour l’aménagement du territoire.
Pour ces cours d’eau, il est possible d’accélérer la séquence d’évolution pour atteindre plus rapidement un état écologique souhaitable. Dans le cas des cours d’eau alluviaux, cela implique de reconfigurer la géométrie du chenal et d’excaver une nouvelle plaine alluviale afin de mieux dissiper l’énergie en période de crue.
Érosion verticale
Un cours d’eau en érosion verticale peut être interprété comme un cours d’eau sévèrement impacté et une menace à l’intégrité du reste du milieu hydrique.
Certains cours d’eau aménagés en milieu agricole sont affectés par une surabondance d’énergie, résultant d’une combinaison de plusieurs facteurs cumulés : déforestation, drainage, assèchement des milieux humides et rectification de cours d’eau, entre autres. L’érosion verticale, caractérisée par une régression de fond et l’incision du lit, se manifeste par un surcreusement du lit et un affaissement des berges.
Ce phénomène engendre des processus d’érosion supplémentaire et une perte de connectivité avec la plaine inondable. C’est pourquoi l’érosion verticale provient d’un cours d’eau qualifié de dysfonctionnel. Sa capacité à soutenir les fonctions écologiques est drastiquement diminuée. Cela constitue une menace pour l’intégrité des cours d’eau voisins, qui sont contraints de s’ajuster, ainsi que ceux en aval, qui sont exposés à un apport excessif de sédiments.
Lorsque l’érosion verticale survient à une vitesse perceptible, elle est typiquement la conséquence de perturbations humaines directes ou indirectes, principalement par l’altération du régime hydrosédimentaire.
Un cours d’eau aménagé en érosion verticale. MRC Bécancour ©Rivières
Érosion verticale : Tendre vers l'équilibre
Le processus d’érosion verticale représente une phase d’ajustement vers un nouvel état d’équilibre. Si le temps leur est accordé, ces phénomènes peuvent permettre à la rivière de s’adapter et se résorber naturellement.
Ce nouvel état d’équilibre, une fois atteint, signifie un état écologique plus souhaitable et constitue une cible pertinente pour l’aménagement ou la restauration des cours d’eau. Cependant, il faut déterminer si l’atteinte de ce nouvel état écologique peut être obtenu dans un délai raisonnable. Il convient donc d’anticiper au mieux le temps requis pour y parvenir en l’absence d’intervention (statu quo) afin d’évaluer la pertinence de mettre en place des solutions alternatives. Cette décision doit être prise au cas à cas, en fonction des caractéristiques spécifiques du site.
Le curage : un non-sens !
Dans le contexte d’un cours d’eau en érosion verticale, l’entretien traditionnel est un non-sens. Ce type de cours d’eau est en déficit sédimentaire et l’excavation des sédiments sur le fond ne ferait qu’aggraver le phénomène à long terme.
En fonction du contexte, il est recommandé de :
- Désamorcer les causes de l’ajustement : atténuer les facteurs hydrologiques responsables de l’incision, en procédant à une recharge sédimentaire en aval d’un barrage ou en appliquant d’autres solutions adaptées au projet.
- Contrôler la réponse morphologique (mitigation) : surveiller et contrôler les réponses morphologiques problématiques pour limiter la dégradation continue.
Ex. : Installation de seuils pour ralentir la propagation de l’érosion régressive vers l’amont.
- Laisser-faire (restauration passive) : si le cours d’eau est sur la bonne voie, aucune intervention n’est nécessaire. On peut permettre à la réponse morphologique de se poursuivre, à condition que le contexte humain le permette. Parfois, il est nécessaire de négocier un compromis entre la restauration écologique et le maintien des usages.
Ex. : espace de liberté.
Voir Fiche technique: Espace de liberté
- Réguler la réponse morphologique (restauration active) : si le cours d’eau subit un ajustement trop rapide, notamment en raison d’un déficit structurel (par exemple, l’absence de bois mort dans le cours d’eau), des mesures actives peuvent être nécessaires.
Ex. : recharge en bois
Voir Fiche technique: Bois mort en rivière et analogues de barrages de castors
Érosion verticale : typologie des modes de gestion applicables dans un contexte de perturbation –> réponse morphologique en milieu agricole. ©Rivières
Érosion verticale : Ravinement dans les coulées agricoles
Le ravinement est un phénomène courant et les causes de l’érosion verticale sont souvent irréversibles. L’option du laisser-faire comporte des risques pour la biodiversité et la pérennité des usages agricoles.
Le statu quo peut être considéré comme une menace directe pour les superficies cultivables en amont de l’érosion régressive, ainsi qu’une menace à l’intégrité de la qualité de l’eau, en raison des apports massifs de sédiments vers l’aval.
Une solution envisageable serait d’installer une série de seuils sur le lit, en particulier dans les zones où l’érosion régressive progresse vers l’amont. Cependant, cette approche présente plusieurs défis techniques, un coût élevé pour les matériaux et un risque de démantèlement rapide.
Une alternative moins invasive, offrant des co-bénéfices environnementaux, consisterait à réguler (ou ralentir) l’érosion verticale en ajoutant du bois mort sur le fond du lit, tout en combinant un reboisement pour favoriser un recrutement durable à long terme.
Voir Fiche technique: Bois mort en rivière et analogues de barrages de castors
Érosion verticale (ravinement) en milieu agricole. MRC Nicolet Yamaska, Baie-du-Febvre, Lac Saint-Pierre @Rivières