Guide sur la restauration des cours d’eau

Méthodes alternatives à l'entretien des cours d’eau au Québec

Loin d’être statiques dans le temps, les cours d’eau sont non seulement naturellement dynamiques, mais aussi régulièrement en ajustement vis-à-vis des modifications anthropiques – souvent irréversibles et cumulatives – dans le bassin versant[1]. L’enclenchement[2] d’un processus d’ajustement place le cours d’eau sur une trajectoire : il vient d’un état et il va vers un autre, mieux adapté aux nouvelles conditions qui lui sont imposées.

Ces nouvelles conditions étant, dans la plupart des cas, là pour rester – du moins en partie –, les cibles de restauration doivent se construire sur la base de la trajectoire du cours d’eau et non pas seulement sur la base d’une morphologie historique. La réflexion doit s’orienter vers l’optimisation du fonctionnement naturel du milieu en vertu des conditions environnementales contemporaines, le tout pondéré par la compatibilité avec les usages et les enjeux d’acceptabilité sociale[3].

Comprendre la trajectoire hydrogéomorphologique d’un cours d’eau permet de répondre à des questions essentielles pour sa gestion. Comment le cours d’eau a-t-il évolué et comment se comportera-t-il à l’avenir ? Cette compréhension permet d’évaluer la pertinence d’intervenir et d’explorer les solutions appropriées pour atteindre des objectifs de restauration alternatifs, mieux alignés avec les aspirations collectives.

Figure 1. La dynamique fluviale et de la morphologie d’un cours d’eau évolue dans le temps. Le potentiel de restauration est fonction de la trajectoire, c’est-à-dire de ce qu’il peut réalistement devenir dans le futur et non pas ce qu’il était dans le passé.

Stades d’évolutiontades d’évolution des cours d’eau linéarisés
Le cas particulier (mais fréquent) des cours d’eau linéarisés pour le drainage en milieu agricole

Un cas d’étude particulièrement pertinent, en raison de sa prévalence sur le territoire : l’ajustement des cours d’eau après le dragage et la linéarisation de son parcours, notamment en milieu agricole.

La réponse morphologique des cours d’eau à ces perturbations massives varie selon le contexte. De manière simplifiée, on peut regrouper les réactions possibles en deux grandes catégories : l’accumulation/sédimentation ou l’érosion des berges et du lit (Figure 2).

Figure 2. Familles de réponses morphologiques des cours d’eau suivant leur linéarisation : par accumulation ou par érosion. Il s’agit d’un extrait d’un arbre décisionnel voir ici

Dans le premier cas, le trapèze des plans d’origine est surdimensionné par rapport à un cours d’eau naturel en équilibre. L’écoulement est incapable de faire transiter la charge sédimentaire ce qui entraîne une accumulation. Les solutions s’inscrivent essentiellement dans les limites du trapèze – creuser le tiers inférieur, aménager des banquettes ou construire des cours d’eau à deux niveaux de façon passive ou mécanique – afin d’en réduire le gabarit et tendre vers un nouvel équilibre.

Dans le deuxième cas, c’est le contraire : l’écoulement est trop puissant pour le gabarit du trapèze ce qui provoque l’érosion. Les solutions consistent alors à intervenir à l’extérieur des limites du trapèze – excaver mécaniquement ou faire place à un espace de liberté – afin d’agrandir l’espace disponible, dissiper l’énergie et aspirer à un nouvel équilibre.

Le type de réponse à anticiper dépend fondamentalement de l’équilibre entre les apports sédimentaires et la capacité hydraulique du cours d’eau à les faire transiter. Ces paramètres sont rarement connus avec précision lors de l’analyse, mais certains proxys permettent de prédire avec une certaine fiabilité, la trajectoire probable du cours d’eau. Le critère le plus couramment utilisé consiste à distinguer les contextes propices à l’érosion de ceux propices à l’accumulation en fonction de la puissance spécifique : c’est-à-dire de l’énergie déployée par l’écoulement de l’eau le long de la pente. En simplifiant, cette énergie est typiquement insuffisante en amont des bassins versants, d’où la nécessité de procéder régulièrement à des entretiens. En aval, cette énergie est surabondante, causant le surcreusement du lit et l’affaissement des talus par érosion.

Les modèles conceptuels d’évolution : à quoi ça sert?
 Les modèles conceptuels d’évolution : à quoi ça sert ?

Un modèle conceptuel permet de mieux décrire encore l’évolution des cours d’eau laquelle débute généralement par une phase d’érosion et d’incision. Ce modèle, composé de 9 stades (0 à 8), illustre l’évolution théorique complète d’un cours d’eau, depuis son état d’origine, en passant par les impacts liés aux travaux de linéarisation, jusqu’à un éventuel retour à un état proche de l’état de référence. Il convient toutefois de souligner qu’un cours d’eau ne suit pas nécessairement l’ensemble des stades du modèle. Selon le contexte géomorphologique, hydrologique ou anthropique, la trajectoire peut être interrompue, et le cours d’eau peut se stabiliser ou persister dans un stade particulier.

 

Stade 0 : C’est l’état de référence, un cours d’eau présenté comme anastomosé – i.e. à chenaux multiples – à cause de l’abondance d’obstructions comme le bois et les barrages de castor.

Stade 1 : C’est l’état pré-dragage, un cours d’eau à chenal unique en lien avec le retrait d’obstructions et/ou la modification du régime hydrologique par la déforestation.

Stade 2 : Le cours d’eau est fraîchement dragué selon une forme trapézoïdale.

Stade 3 : Les conséquences de l’intervention mécanique initiale sont amplifiées par l’enclenchement d’une érosion verticale (incision) locale et régressive qui mène à un important abaissement du niveau du lit.

Stade 4 : En favorisant l’érosion des berges par mouvements de masse, l’érosion verticale s’accompagne éventuellement d’un élargissement du chenal.

Stade 5 : La combinaison de la diminution des vitesses – écoulement moins concentré – et de l’apport sédimentaire associé à l’érosion accrue des berges permet éventuellement l’interruption du processus d’érosion verticale et l’amorce d’une aggradation – accumulation sédimentaire — qui rehausse le niveau du lit à mesure que le chenal s’élargit.

Stade 6 : Le rehaussement du niveau du lit permet éventuellement l’atteinte d’un nouvel état d’équilibre dynamique.

Stade 7 : L’érosion des berges permet une reprise de la mobilité latérale.

Stade 8 : L’accumulation d’éléments structurels – i.e. obstructions – force le retour vers un patron en plan anastomosé.

La présence d’obstructions favorise la rétention sédimentaire, ce qui permet un rehaussement progressif du niveau du lit, pouvant, avec un certain optimisme, conduire à restaurer le niveau du lit vers celui de l’état de référence (stade 0).

 

Figure 3. Modèle d’évolution des cours d’eau (adapté de Cluer & Thorne, 2014)

Le modèle d’évolution des cours d’eau facilite l’évaluation de l’état du milieu hydrique qui dépasse l’observation ponctuelle en le situant sur une trajectoire connue et prévisible. Cela permet de mieux réfléchir au choix des interventions capable de faciliter sa transition vers les cibles de restauration souhaitées (stade 0 – 1 ou 5 – 8).

L’article 26 du REAFIE* mentionne d’ailleurs explicitement l’identification du stade d’évolution afin de documenter la problématique dans le cadre d’une demande d’autorisation générale (Requis dans certains cas).

*Règlement sur l’encadrement d’activités en fonction de leur impact sur l’environnement (Q-2, r. 17.1; REAFIE)

Pour en savoir plus
Références
  • Ashmore, P. (2015). Towards a sociogeomorphology of rivers. Geomorphology, 251, 149–156. https://doi.org/https://doi.org/10.1016/j.geomorph.2015.02.020
  • Cluer, B., & Thorne, C. (2014). A stream evolution model integrating habitat and ecosystem benefits. River Research and Applications, 30(2), 135–154.
  • Dufour, S., & Piégay, H. (2009). From the myth of a lost paradise to targeted river restoration: forget natural references and focus on human benefits. River Research and Applications, 25(5), 568–581.
  • Guerrero-Gatica, M., Aliste, E., & Simonetti, J. A. (2019). Shifting gears for the use of the shifting baseline syndrome in ecological restoration. Sustainability, 11(5), 1458.
  • Harman, W., Starr, R., Carter, M., Tweedy, K., Clemmons, M., Suggs, K., & Miller, C. (2012). A function-based framework for stream assessment and restoration projects. US Environmental Protection Agency, Office of Wetlands, Oceans and Watersheds.
  • Kondolf, G. M., Smeltzer, M. W., & Railsback, S. F. (2001). Design and performance of a channel reconstruction project in a coastal California gravel-bed stream. Environmental Management, 28, 761–776.
  • Pauly, D. (1995). Anecdotes and the shifting baseline syndrome of fisheries. Trends in Ecology & Evolution, 10(10), 430.
  • Walsh, C. J., Roy, A. H., Feminella, J. W., Cottingham, P. D., Groffman, P. M., & Morgan, R. P. (2005). The urban stream syndrome: current knowledge and the search for a cure. Journal of the North American Benthological Society, 24(3), 706–723.

[1] (Dufour & Piégay, 2009)

[2] Les cours d’eau sont parfois considérés comme étant en ajustement continuel en réaction aux micro-variations des conditions environnementales, mais on fait ici référence à un ajustement unidirectionnel et suffisamment conséquent pour être observable à l’échelle humaine.

[3] (Ashmore, 2015)